Trois plafonds de verre à faire sauter pour retrouver la croissance
L’économie française ne se porte pas bien depuis trop longtemps. Depuis près d’une décennie, sa croissance représente à peine le tiers de la croissance mondiale. Pour comprendre ce retard, il est important de revenir sur les trois phénomènes majeurs qui ont changé les règles du jeu depuis quinze ans. Premièrement, le nombre d’habitants du club des pays riches a été multiplié par trois (émergence de la Chine, de l’Inde, du Moyen-Orient, des pays de l’Est et de l’Amérique centrale et du Sud). Ensuite, la prise de conscience brutale que les ressources énergétiques ont une limite, qui se traduit par une explosion de leur coût, a aussi fait ressortir le fait que notre écosystème est fragile. Enfin, l’« aplatissement » de la terre provoqué par l’explosion d’Internet, induit une suppression des frontières commerciales et politiques, qui a accéléré la globalisation. Ces trois phénomènes sont amplifiés par la propagation d’une crise financière du crédit sans précédent, qui fragilise l’ensemble de l’économie mondiale, en se propageant progressivement à l’économie réelle.
Pour tirer avantage de ces transformations, et non plus les subir, la France doit repenser sa vision de l’économie autour d’une croissance intelligente et qualitative, respectueuse de son environnement et capable de jouer à la fois sur ses points forts (infrastructures, qualité de la formation, système de protection sociale, savoir-faire technologique, rayonnement culturel), mais surtout de se positionner de manière différenciée et compétitive dans l’économie mondiale, autour des acteurs qui en sont les moteurs.
Depuis trente ans, la France a concentré ses investissements et ses efforts sur son administration, ses infrastructures et ses grandes entreprises, mais elle a oublié le rôle de ses PME, qui sont la clef de notre flexibilité, de notre capacité à innover et à nous adapter pour profiter des transformations et de la croissance de l’économie mondiale. Le principal frein de notre développement ne repose pas dans la faiblesse de la demande, mais dans une offre insuffisamment compétitive, au sein de laquelle le rôle essentiel des entrepreneurs et des PME est méconnu. Cette dégradation de notre croissance et de notre compétitivité vis-à-vis de nos concurrents est au coeur de l’érosion du PIB par habitant et donc du pouvoir d’achat des Français. Et c’est le système de protection et de cohésion sociale, largement basé sur la taxation du travail, qui est aujourd’hui fragilisé et menacé. Une réalité amplifiée par l’explosion de la dette publique et du coût croissant de son financement. Malgré notre taux d’épargne élevé, nous avons très peu investi dans le financement de la croissance, de ce qui constitue le coeur de notre économie. Un paradoxe de plus pour la France, encore cinquième économie du monde, qui aura du mal à tenir son rang si elle n’investit pas plus significativement dans les moteurs de son avenir.
Pour y parvenir, notre pays doit s’affranchir d’un triple plafond de verre qui entrave sa croissance depuis trente ans.
Un plafond de verre culturel tout d’abord, qui repose sur une incapacité systémique de notre société à enseigner, cultiver et reconnaître le rôle de l’entrepreneur en France, associée à une culture du risque défaillante et à une peur paralysante de l’échec. En découle une politique d’innovation insuffisamment accessible, efficace et stratégique. De plus, une maîtrise des langues et une compétitivité insuffisantes conduisent seulement 4 % de nos PME à exporter, contre 18 % de leurs homologues allemandes. Enfin, la qualité des décisions et politiques en faveur des entrepreneurs et de la croissance des PME est fortement pénalisée par l’absence de statistiques fiables, de recherches économiques, de réflexion stratégique sur le processus de création de valeur de cet univers.
Un plafond de verre financier ensuite, qui se traduit par une épargne considérable (180 milliards d’euros en 2006) faisant de la France le quatrième pays au monde en termes de taux d’épargne, mais qui non seulement n’est pas particulièrement rentable (4 % en moyenne) ni très productive vis-à-vis de l’économie, mais aussi très peu orientée et investie en fonds propres dans les PME (2,1 milliards d’euros en 2007). Paradoxalement, la France produit une économie sans capitalistes, une croissance sans entrepreneurs qui puissent grandir efficacement, des délais de paiement qui pénalisent les PME, des financements bancaires peu ou mal accordés aux entrepreneurs, un manque structurel d’investisseurs à long terme, de capital-développeurs et de capital-risqueurs.
Un plafond de verre réglementaire enfin, avec un contexte légal et juridique extraordinairement complexe et entravant, une organisation institutionnelle et sociale qui pénalise le développement des PME et une fiscalité vécue comme un frein, associée à des charges salariales qui limitent la croissance et l’emploi.
La clef de notre avenir économique pour sortir de cet état stationnaire sera donc déterminée par notre capacité à remettre l’entrepreneur au coeur de notre modèle économique, avec une mobilisation sans précédent pour dynamiser la croissance de nos PME, qui représentent 75 % de nos emplois privés et 55 % de notre économie. Ce sont elles qui créent les emplois. Souvenons-nous de la leçon de Schumpeter : la France, comme toute économie qui souhaite rester flexible et compétitive, doit réapprendre à mettre en exergue le rôle de l’entrepreneur et à fluidifier son processus de destruction créatrice pour tirer avantage de la révolution économique, environnementale et technologique que le monde va connaître au XXIe siècle.
GRÉGOIRE SENTILHES