Revoir l’ambition ou les mécanismes qui accélèrent la transition durable est un pari de très court terme aux effets délétères pour notre compétitivité, notre souveraineté et un avenir durable pour les générations à venir.
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Par Laëtitia Challan Belval, Chief Impact Officer, et Aloys de Fontaines, Associé au sein de NextStage AM.
Il apparaît maintenant clairement que les entreprises européennes font face à un défi majeur, prises en tenaille entre deux forces dominantes. D’un côté, les États-Unis imposent leur supériorité grâce à une économie massivement financée et une avance technologique incontestable et qui s’accélère. De l’autre, les pays émergents détournent les règles du jeu en n’hésitant pas à s’appuyer sur un dumping social et environnemental généralisé, contournant nos règles et standards européens.
Cette double pression, combinée au coût du financement de notre modèle social, à notre dépendance technologique envers les GAFAM et aux énergies fossiles, met en péril à la fois la compétitivité et la souveraineté européenne. Le moment est venu de repenser notre approche pour sortir de cet étau.
La transformation durable est la seule voie possible à suivre
Alors que les incendies et les inondations frappent le monde simultanément, nous devons mieux évaluer les impacts écologiques et sociaux des entreprises, pour les aider à devenir plus résilientes face aux crises climatiques et sociales, et moins dépendantes des énergies fossiles. L’inaction coûte cher : les entreprises pourraient connaitre une chute de 25% de leurs bénéfices selon les secteurs (source : étude BCG, 7 janvier 2025) ; avec notamment des effets en cascade autour du stress thermique sur la productivité des travailleurs ou les rendements agricoles, ainsi que des dégâts sur les infrastructures, les biens, et la capacité des écosystèmes à soutenir les économies. Dès 2019, après deux années d’incendies en Californie, PG&E (Pacific Gas & Electric Company), avait été considérée comme la première entreprise ayant fait faillite en raison du changement climatique en devant faire face à un passif de 30 milliards de dollars… (source : Novethic, 7 février 2019)
Il n’y a plus une seule entreprise qui n’est pas consciente qu’il faut avancer sur le sujet compte tenu de la demande croissante de toutes ses parties prenantes – banques, investisseurs, clients et consommateurs, salariés et pouvoirs publics – vers plus de transparence et une responsabilité accrue face aux enjeux climatiques et sociaux. Les investisseurs sont d’ailleurs en attente des plans de transition que publieront les entreprises et qui représentent un outil clé pour guider leurs décisions d’investissements et mobiliser les 800 milliards d’euros nécessaires pour financer la transition écologique, selon les estimations du rapport Draghi (9 septembre 2024).
Au sein de NextStage AM, nous avons été très tôt sensibilisés aux enjeux économiques du réchauffement climatique mis en lumière en 2006 par le rapport de Nicholas Stern auprès de Tony Blair sur l’impact économique du changement climatique. Notre priorité pour les prochains véhicules d’investissement est de renforcer notre action sur les sujets environnementaux et climat en systématisant la réalisation d’une feuille de route carbone pour initier une démarche de trajectoire d’alignement à l’Accord de Paris pour chaque participation. Nous allons y associer des moyens financiers et humains, ainsi qu’un dispositif d’accompagnement par des experts du climat.
Nous sommes également convaincus que nous ne pouvons pas opposer compétitivité et durabilité. Depuis plus de 12 ans, notre action est guidée et motivée par les principes énoncés par Michael E. Porter dans son article Creating Shared Value (Harvard Business Review, 2011) : les entreprises qui créent de la valeur partagée pour la société et l’ensemble des parties prenantes améliorent leur performance économique. La recherche de la valeur partagée conduit en effet les entreprises à innover, adapter leurs produits, leurs processus et leurs technologies pour répondre aux besoins sociétaux,
et donc à régénérer l’environnement au sens large dont elles sont à la fois issues et dépendantes. Ces entreprises bénéficient de nouvelles opportunités de marché et renforcent leur compétitivité en créant et entretenant un cercle vertueux. Cette dynamique contribue à améliorer leur accès au capital ainsi que son coût (désormais largement assis sur une performance ESG), à renforcer la réputation ainsi que les relations commerciales et à attirer des talents.
Le Green Deal est un bouclier de compétitivité pour nos entreprises européennes
Dans la boussole de compétitivité présentée par l’UE, le changement de direction par rapport au Green Deal est très clair.
Or, les entreprises européennes ont besoin du Green Deal pour une raison simple : se protéger. La directive CSRD inclut un principe d’extraterritorialité : cela signifie qu’une entreprise étrangère qui veut commercer avec l’UE doit se conformer aux règles définies par cette dernière. Nous pourrions parfaitement défavoriser ou interdire des importations faites par des compétiteurs internationaux qui ne reportent pas selon la CSRD, ou qui n’appliquent pas la CS3D (devoir de vigilance sur les pratiques sociales et environnementales des fournisseurs des grandes entreprises) afin d’instaurer une concurrence loyale et protéger la compétitivité de nos entreprises en s’assurant que les règles du jeu ne sont pas faussées.
Si nous partageons la perspective que des ajustements liés à la complexité technique et à la convergence des différents dispositifs du Green Deal sont les bienvenus, nous restons convaincus qu’il ne faut pas en vider la substance ni sacrifier les principes fondamentaux comme la double matérialité ou les normes sociales et environnementales sur la chaine de valeur amont des entreprises.
Spécifiquement, sa composante Clean Industrial Deal, doit notamment permettre de décarboner les secteurs industriels tout en renforçant leur compétitivité à l’échelle mondiale ; et prévoit entre autres la création de mécanismes financiers pour soutenir les industries dans leur transition ; avec un objectif de baisse de 90% des émissions carbone d’ici 2040, comme rappelé par l’UE dans sa Boussole de compétitivité le 29 janvier 2025.
Soulignons également que les quatre principaux risques mondiaux cités, à dix ans, au Sommet de Davos le 20 janvier 2024, sont tous d’ordre environnemental (évènements climatiques extrêmes, effondrement de la biodiversité, changements du système terre et pénurie de ressources naturelles).
Combattre les excès bureaucratiques et les charges nouvelles inutiles pour les entreprises est une juste cause. Elle ne doit pas remettre en question les objectifs essentiels du Green Deal.
Revoir l’ambition ou retarder les mécanismes qui accélèrent la transition durable est donc un pari de très court terme aux effets délétères pour notre compétitivité future, notre souveraineté et un avenir durable pour les générations à venir.